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Cité verte, pour élargir le cercle

La notion de trame verte est aujourd'hui trop restrictive et doit s'étendre au bleu. C'est déjà une réalité dans bien des villes.

Val'hor a inauguré le 8 décembre, en avant-première de la soirée de remise des Victoires du paysage, le Forum Cité verte, un réseau d'échanges pour réinventer la place du végétal, de l'eau et, finalement, de la nature en ville.

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« Malgré la prise de conscience, ça patine. » Tel est le constat dressé par les participants au Cercle Cité verte, un groupe de professionnels réfléchissant à la place de la nature en ville, sous la houlette d'Erik Orsenna, écrivain, économiste et passionné des questions environnementales. Ce que confirment les chiffres de la filière (Lien horticole n° 996 du 14 décembre dernier) et le sentiment partagé par les professionnels de la production horticole.

D'ailleurs, les Victoires du paysage, remises à la suite du forum et qui réunissent toujours de nombreux producteurs actifs au niveau de Val'hor ou nominés dans les projets, et même souvent les deux, ont encore été l'occasion de ressentir la tension qui règne sur le marché du végétal d'ornement. Les marchés publics sont toujours atones et le privé est loin de compenser le manque. Le regain d'activité constaté chez de nombreux concepteurs est perçu comme une bonne chose, mais il ne devrait se faire sentir dans les carrés de culture que la saison prochaine, et les trésoreries pourraient bien, d'ici là, souffrir encore terriblement...

Le végétal, un matériau pour l'architecte

Pour faire fonctionner l'antipatinage, le Cercle, créé en 2009 pour accompagner la mise en oeuvre de la démarche Cité verte lancée en France dès l'année précédente, a décidé de s'élargir et devient le Forum, « un réseau d'échanges adossé à une plateforme numérique et un programme d'actions jalonné d'événements et de rencontres animées par Val'hor ». L'idée étant que, puisque le discours sur l'environnement a du mal à se traduire en activité économique, il faut élargir la réflexion pour tenter de comprendre pourquoi et comment on pourrait y remédier.

Malgré tout ce qui est positif et qui a été souligné par Erik Orsenna, « la prise de conscience des problèmes de climat et de santé, la baisse de l'influence des climato- sceptiques, le fait que des actions comme la COP des territoires ait rassemblé, avant la COP21 l'an dernier, les maires de cinquante des plus grandes villes du monde prêts à agir », force est de constater que la filière n'avance guère. Elle doit donc « se trouver un business plan. Avant, on coûtait, maintenant, on sait qu'on rapporte, poursuit le président du Cercle, mais il faut passer des espaces verts à l'infrastructure verte ». Changer d'échelle, en quelque sorte.

Pour lancer les débats, l'interprofession avait invité des intervenants renommés. Le premier, Carlos Moreno, mathématicien professeur des universités et spécialiste du « contrôle intelligent des systèmes complexes », étudie comment les villes se développent. « Même si elles sont le plus grand système artificiel vivant, elles ont survécu à tout », précise-t-il. Pour certaines, depuis quelques millénaires. Mais la population mondiale a explosé, le taux de CO2 dans l'atmosphère a atteint un taux égalé une seule fois depuis les dinosaures et le développement se fait maintenant en Afrique et en Asie.

Des mégalopoles de 20 à 30 millions d'habitants s'y développent et feront bientôt passer Paris pour un paisible village. Les maires de ces grandes villes constituent un puissant contre-pouvoir : à en croire notre chercheur, si la ville de Londres était un État, le prix cumulé de son foncier en ferait la dixième économie mondiale ! Ces villes sont de permanents désordres métaboliques, peuplées de « zombies geeks » socialement déconnectés, capables de se croire intemporels et immortels, mais qui s'asphyxient sous leurs propres émanations générées par leur mode de vie. Pour Carlos Moreno, il est temps de s'interroger sur la ville dans laquelle nous voulons vivre, avec quels lieux de partage et quelle inclusion sociale.

Autre intervention, l'architecte Duncan Lewis, un Écossais vivant en France depuis une trentaine d'années et dont le travail laisse une large part au végétal. L'homme est assez iconoclaste, il définit ses réalisations comme « pas forcément très jolies et pas très finies, ne fonctionnant pas à 100 %, mais essayant d'explorer des horizons nouveaux ». Selon lui, « le végétal est un matériau qu'il faut manipuler ». Afin de filtrer la lumière, rendre la ville respirable, par exemple... Il y voit aussi une « clé pour mobiliser le citoyen ». Un plus grand nombre d'architectes ayant ce tropisme permettrait de mieux valoriser la filière. Dominique Gauzin-Müller, qui a présenté un projet de densification urbaine sous les tropiques cherchant à laisser aux habitants l'impression qu'ils vivent encore dans la nature, en fait partie, mais le panel reste limité.

Un boulevard pour la profession

Difficile de retranscrire les idées qui ont été émises au cours de ce premier forum. On peut retenir l'intervention de Catherine Muller, présidente de l'Unep, qui a expliqué combien les démarches environnementales de la ville de Strasbourg, précurseur en matière de mise en place de coulées vertes, ont été décriées au début pour ensuite s'imposer au reste de la France en quelques années.

Erik Orsenna a aussi rappelé que le service Autolib a montré que ce qui semblait au départ une utopie peut rapidement s'avérer un succès. Michel Audouy, paysagiste, a insisté sur le grand écart entre des villes qui aspirent et se développent et des campagnes qui se meurent. L'objectif de la réflexion et du débat a été atteint, sans pour autant définir de véritables perspectives. Sauf tout de même sur quelques points : la notion de trame verte est aujourd'hui trop restrictive et doit s'étendre au bleu. C'est déjà une réalité dans bien des villes. Il y a un boulevard pour la profession si elle sait changer d'échelle, ne plus raisonner « espaces verts », mais également espaces aquatiques, changement climatique et autres grands enjeux d'avenir.

Vincent Piveteau, directeur de l'École nationale supérieure du paysage de Versailles-Marseille (ENSP), a tiré les conclusions de cette première réunion : Cité verte est une nouvelle réponse aux crises territoriales s'appuyant sur le vivant. Il faut changer de modèle, passer à une pensée de soin, de santé publique, raisonner nature en général. Il est nécessaire de réinventer des porosités là où des cloisonnements ont été érigés. Et d'ajouter que l'on était là « comme dans une bonne cuisine : il y a de bonnes odeurs, des fumets qu'il faut conserver. Une cuisine de fond est sur le feu, et il faut se réjouir d'être aux fourneaux ». Sauf que les professionnels sont aujourd'hui loin d'avoir le sentiment d'être aux fourneaux...

Pascal Fayolle

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